mobutiste, en état avancé d'effondrement, a été renversé. L'erreur serait, cependant, de réduire le mobutisme au seul Mobutu, sa famille et ses caciques. I1 faut penser le mobutisme en tant qu'ensemble de prescriptions politiques sur 1'État postcolonial, pour mieux faire ressortir ce qu'il faut éviter ou détruire dans la transformation de la société et l'édification d'un nouvel Etat. I1 s'agit de poser la question d'une autre politique possible qui déterminerait l'orientation nouvelle à donner à la reconstruction nationale en cours sans continuer à reproduire le style de travail mobutiste. Ce n'est pas si Sacile que qà : après la fin de la Guerre froide, l'effondrement des Etats socialistes et l'actuelle réorganisation néoliberale du monde, il faut bien repenser la politique émancipatrice dans sa singularité. Ni le déterminisme historique (que suppose l'analyse marxiste) , ni la nouvelle philosophie de l'histoire, basée sur la défense des droits de la personne humaine et l'économie de marché, ne nous permettront de saisir la question d'une autre politique possible en RDC. Car il ne s'agit pas seulement de faire exister un modèle de politique non pensé par nous-mêmes. Nous ne sommes pas uniquement une zone où l'on doit appliquer les mesures politico-juridiques des droits de la personne humaine et de l'économie de marché pour être déclarée bonne ou mauvaise zone, satisfaisant ainsi les critères de la philosophie de l'histoire prônée par le néolibéralisme. I1 ne s'agit pas non plus d'une simple application du lumumbisme (socialisant ou pas) ou du mulélisme comme modèle révolutionnaire pérenne. Nous devons penser les conditions sous lesquelles une autre politique peut exister après Mobutu. C'est sur la base de cette pensée politique que nous pouvons saisir, exposer et évaluer le mobutisme en tant que mode politique historique afin de l'éradiquer complètement. La guerre dite de libération n'a pas pu se transformer en guerre populaire révolutionnaire. Quelles sont les conditions d'une politique anti-mobutiste qui ferait de la victoire une reconstruction nationale sur la base de la destruction intégrale du mobutisme dans toutes les formes ? Le mobutisme et 1'État post-colonial congolais à l'époque de la Guerre fioide Le mobutisme se définissait comme ((l'ensemble des actes et pensées du Président-Fondateur du MPR o (Wamba dia Wamba, 1996). I1 était devenu le fondement de la Constitution (issu de la 146 ERNEST IVAMBA DU WMBA pérennisation du coup d'État de 1965) qui avait légalisé la confiscation du pouvoir par un groupe d'individus sous la direction exclusive de l'homme providenti$, Mobutu, pour leur enrichissement personnel et pour sewir 1'Etranger. Plus spécifiquement, le mobutisme repose sur le providentialisme de cet homme qui n'a pas de responsabilité envers le peuple. (( Les Congolais D, disait-il avec arrogance, ((lui doivent tout; il ne leur doit rien)). I1 levait toujours ses yeux vers la montagne américano-européenne d'où lui venait sans interruption l'éternelle récompense. I1 disait aussi et souvent : (( Avant moi le déluge et après moi le déluge )) (The Independent, 5 octobre, 1996). Constitutionnellement, le mobutisme prescrit que tout est permis au seul Mobutu : tout pouvoir, tout honneur, toute jouissance ... à Mobutu et rien qu'A lui. Mobutu, comme Président-Fondateur, est proclamé au-dessus des limitations constitutionnelles du pouvoir ; il est donc au-dessus de la loi, au-dessus de la moralité publique, au-dessus de l'éthique sociale, MOBUTISME APRÈS MOBUTU ment pour exiger du peuple congolais une obéissance docile. Fonctionnaires, militants du Parti-État, etc., tous étaient amenés, de gré ou de force, à devenir des flagorneurs zélés. La pensée, la volonté politique, l'initiative en général, la parole libérée, les sentiments forts, etc., étaient la cible particulière du régime. I1 fallait faire taire les gens pour gouverner. C'était l'opposé d'une politique basée sur la palabre. Le mouvement de contestation du mobutisme qu'était la Conférence nationale souveraine (CNS) avait eu des moments de véritable palabre exposant publiquement les manquements de Mobutu et de ses caciques. Cela explique le grand enthousiasme du peuple congolais pour la CNS. Bien que Mobutu n'ait pas été renversé, les conditions de reproduction du mobutisme étaient amplement entamées. Aussi longtemps que les systèmes extérieurs ne lâchaient pas, la détermination fianCaise de jouer Mobutu remplaçant vers la fin celle des Américains, et que perduraient les comportements de soumission, le mobutisme gardait quelque chose de sa consistance. La fin de la Guerre froide avait perturbé la cohésion des soutiens extérieurs et avait permis la possibilité de la rupture avec les comportements de soumission au sein du peuple. La montée de la mondialisation néoliberale a provoqué la péremption de 1'État-Nation, en tant que principe politique fondamental de légitimation. I1 fallait autre chose; le mobutisme s'effondra, ce qui a donné lieu une situation de guerre. L'enthousiasme populaire pour l'application intégrale des décisions de la CNS, l'hésitation puis le refus des puissances occidentales de relancer Mbbutu - malgré la détermination myope de la France - compte tenu des changements importants dans la région, avec le génocide rwandais de 1994 et ses conséquences, la détermination des États voisins d'en finir avec Mobutu comme facteur majeur de déstabilisation régionale - tout cela a quelque peu contribué à la guerre. - Pour garder son pouvoir à tout prix, Mobutu a recouru à la politique exclusionniste, ethnique et régionaliste, dénommée la (( géopolitique o. Les différences parmi le peuple se sont rapidement transformées en discriminations. L'épuration ethnique était organisée. Les rapports tendus autour de la terre (Clément crucial de richesse et de pouvoir) furent exacerbés et rendus plus tendus par l'arrivée massive des réfugiés venant du Rwanda et du Burundi ; les Forces Armées Zaïroises (FAZ) éclatées en bandes semant la violence partout, tous ces facteurs ont servi à attiser la situation de guerre. Pour relancer le régime génocidaire rwandais renversé par le Front patriotique rwandais, la France a tout fait pour redorer le blason de Mobutu présenté comme (( incontournable pour (( la recherche de la paix dans la region )) ! Le développement de toutes 148 ERNEST WAMBA DL4 IVAMBA ces contradictions a amené le régime Mobutu à commettre de graves violations des droits de l'homme - opposant un groupe contre un autre - jusqu'à retirer arbitrairement et sous la menace le droit de nationalité de ses citoyens Zairois rwandophones. Cet événement a fait converger les contradictions vers un point de rupture, entraînant ainsi au Zaïre une levée en masse des populations victimes. L'insurrection armée contre les violations et les menaces d'expulsions des citoyens Zairois rwandophones vers le Rwanda en situation de guerre, a donné lieu à une mobilisation tant locale que régionale, au départ défensive, qui a mené au renversement du régime, déjà presque effondré, de Mobutu. Le mobutisme serait-il complètement éliminé après la disparition de Mobutu ? Le 17 mai 1997, le premier groupe de la direction de l'Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (I'AFDLC de la guerre de libération) arriva avec jubi!ation à IGnshasa. Mobutu et ses caciques venaient de s'enfuir : 1'Etat mobutiste était en voie d'être complètement renversé. C'était l'½uvre d'une coalition de forces mondiales, régionales et locales : IGnshasa n'a pas vécu le bain de sang que l'opinion internationale craignait. La direction locale de cette coalition revenait à 1'AFDLC dont le maquisard Laurent Désiré Kabila fut porte-parole et président. Le contenu de cette direction politique avait fait l'objet de luttes d'influence, au sein de 1'AFDLC et parmi les alliés régionaux, luttes qui avaient emporté le premier commandant des troupes de I'AFDLC, IGsase Ngandu. Avec ce renversement du régime de Mobutu, le démantèlement de la structure politico-militaro-diplomatique regionale, soutenant l'Occident dans la Guerre froide et sponsorisée par la troïka occidentale (USA, France et Belgique) dont Mobutu était la pièce maîtresse, était possible. Sa réalisation dépendra de l'évolution des appuis extérieurs du mobutisme et de la consistance du processus de démocratisation dans la région. Dès sa formation, sur la pression et l'influence des dirigeants régionaux, I'AFDLC paraissait avoir très peu de soutien du côté des forces démocratiques internes. Rien, du point de vue de l'expérience pratique de certains de ses membres, ne démontre leur caractère démocratique, même si la détermination de la rébellion contre le régime était des plus évidentes. Après tout, la plupart des partis composant I'AFDLC étaient des groupes armés. Aucune synthèse rationnelle de la longue expérience des luttes du peuple congolais pour la libération réelle, de IGmbangu, Lumumba, 149 MOBUTISME APRÈS MOBUTU Mulele jusqu'à Kabila lui-même, n'était, à notre connaissance, disponible. Les Cléments contenus dans les rapports de la CNS n'étaient pas largement diffusés. La direction de I'AFDLC était politiquement peu préparée pour bien diriger la guerre de libération et la transformer en guerre popu1Fire de libération. La guerre était plus menée dans l'optique des Etats régionaux. C'était une guerre régionale défensive contre l'offensive déstabilisatrice mobutiste. Le traitement des questions financières de cette guerre ne semblait pas s'élever complètement au-dessus des tendances mobutistes. L'absence de synthèse rationnelle des leçons tirées des expériences antérieures des luttes de libération du peuple africain en général a fait que la conduite de la guerre a été plus militariste que politique. Les documents utilisés pour l'éducation politique des nouveaux militants étaient d'une qualité très médiocre. Ils ne pouvaient pas provoquer les débats essentiels dans la population sur les questions majeures de la société à construire à l'issue de la guerre. Lumumba avait prescrit l'élimination complète des conditions de vie coloniales à partir d'une politique conditionnée par la rupture avec toute conscience de soumission. Cette prescription était, à l'époque, impossible à réaliser. La transformation de 1'État colonial vers une indépendance réelle ne pouvait pas se faire du dedans de cet Etat. Dans plusieurs régions d'Afrique, la politique d'entrisme (entrer dans 1'État en vue de le transformer), autoproclamée nationaliste ou socialiste (scientifique ou africain), n'a pas été couronnée de grands, succès. La direction du parti d'avantgarde pour transformer 1'Etat colonial en État développementaliste du peuple tout entier n'a eu que peu de succès. La lutte armée visant a réaliser l'énoncé de Marx présenté dans l'Idéologie ullemunde, la convergence du changement personnel avec la transformation des conditions par l'activité révolutionnaire, n'ont pas complètement réussi à éliminer les conditions coloniales et néocoloniales de la vie, ni à changer les mentalités. Ces questions méritaient d'être revues pour préciser 1 'analyse politique et stratégique de la direction de la guerre. D'oÙ émerge la conscience de rupture avec celle de soumission au mobutisme, et comment la renforcer ? Cette question a été rendue confuse par le refus systématique de YAFDLC de lire les tendances anti-mobutistes dans le sillage de la CNS. Les alliés régionaux, qui n'avaient pas eu l'expérience de la CNS, ne pouvaient pas en savoir plus. La compréhension de la dialectique a été négligée en faveur d'analyse de systèmes. Le lieu d'origine de l'anti-mobutisme, en tant que conscience politique, ne pouvait se concevoir qu'en dehors du lieu de déploiement du regime mobutiste en tant que système. Travailler sous Mobutu et travailler pour Mobutu étaient confondus. Le maquis, en tant que dehors radical 150 ERNEST WAMBA DIA WAMBA au régime mobutiste, est porté a un niveau de mythe corrosif du mobutisme. La pureté anti-mobutiste y régnerait en maîtresse ! I1 y a dans l'ouvrage signé par Kabila, Le Retour du Congo (Mukendi et Kasonga, 1997) quelque chose qui rappelle Mobutu : 1'Honznze seul (1). Les masses congolaises rebelles font l'histoire congolaise ; les masses rebelles contre le mobutisme, dans tous les lieux possibles de la politique anti-mobutiste (l'usine, la campagne, l'armée, le quartier, la CNS, l'école, l'hôpital, la défense de la nationalité retirée, le maquis, etc.) constituent les militants stratégiques de la rupture avec le mobutisme. Le maquis et la diaspora - lieux aussi de rébellion contre le mobutisme - n'ont pas su développer une articulation active avec les autres lieux. Ils n'ont même pas pu assurer le travail intellectuel nécessaire pour coordonner déclarations issues de ces multiples lieux. Le point de vue des Zaïrois qui étaient bâillonnés, battus, brutalisés pendant des décennies sous le couvert de l'authenticité, l'anticommunisme, de l'unité nationale, de la sécurité internationale de l'État, etc.) , ne devrait-il pas être le point de départ de l'analyse et du renforcement de l'anti-mobutisme jusqu'à l'abolition complète du mobutisme? Le danger est très grand si, au lieu de concentrer et systématiser les idées éparpillées dans les masses rebelles, la direction de 1'AFDLC ne fait que répandre ses propres idées issues du seul site du maquis ou de l'insurrection armée contre la violation du droit de nationalité des Zaïrois rwandophones. Différentes contradictions, dont le développement, la condensation et la convergence en un point de rupture (Badiou, 1975) , expliquent les nouveaux développements dans la situation de la République Démocratique du Congo et de toute la région. I1 y a la contradiction motrice et dynamique qui opposait 1'Etat mobutiste en Etat d'effondrement et le peuple congolais appauvri et divisé par la (( géopolitique o mobutiste ; la contradiction qui mettait aux prises le régime déstabilisateur de Mobutu soutenu, en dernier ressort, par la France et les Etats et les peuples de la région (particulièrement : le Rwanda, l'Angola, l'Ouganda , le Burundi, etc.) ; la contradiction qui opposait les puissances occidentales entre elles dans la région ; la contradiction qui opposait les réfugiés (eux-mêmes divisés) au peuple congolais ; et enfin les contradictions opposant les puissances occidentales et les Etats et les peuples de la région. Le développement inégal de toutes ces contradictions a donné lieu à deux camps opposés. Les ((Dossiers noirs de la politique africaine de la France o, nous en donne quelques éclaircissements : (1) Ouvrage à Ia gloire de Mobutu publié en 1962 à Bruxelles par Francis Monheim. 151 MOBUTISME APRÈS MOBUTU ((Autoair de trois pivots - l'Ouganda, le Rwanda, puis l'Angola - tine dizaine des paTs africains ont concouru à la chute dai mobzitisme : I'Eythrée, I'Ethiopie, le Bainaidi, la Tanzanie, la Zambie, le Zimbabwe et I'Afîqzie dai Sud. En majeure partie, il s'agit d'une Ajiiqzie qui a bitté pour son affranchissement )) (2). Et plus loin : (( Contre l'Alliance de Kabila et la coalition qui le soutenait, la Franzaïre n'a rameuté que dai “beau monde”: des officiers et soldats zaïrois que trente ans d'exemple mobiitiste ont, pour beaucoup, mzi en soudards pillards et voleurs ; la des mercenaires blancs, européens et sud-africains ; les militaires et miliciens du génocide rwandais ; des miliciens serbes fanatiques de l'épuration ethnique, adeptes du viol comme arme raciste ; des restes de l'armée de I'Ubti ougandais Idi Amin Dada, la LRA (Armée de la résistance dai seigneur) de l'illuminé Joseph Kony, qui enlève les enfants dai Nord-Ouganda pour en faire ses recrues ; des fondamentalistes musulmans, soutenus comme les deux groupes précédents par le régime de Khartoum (“nettoyeur” des monts Nouba et autres contrées soudanaises ; une dissidence angolaise, l'UNITA, fortement discréditée ; etc. a (3). La situation de guerre, conséquence du génocide rwandais de 1994, et le sous-développement relatif de la direction politique du peuple du Zaïre ont eu un impact sur la précarité et la direction de l'évolution de ce système des contradictions. Les contradictions, ?pparemment secondaires, opposant le régime de Mobutu aux Etats régionaux, devenaient apparemment principales et motrices. Le point de rupture était déterminé par les luttes autour de l'épuration ethnique et les retraits arbitraires du droit de nationalité des Zaïrois rwandophones accompagnés de menaces d'expulsion sur le Rwanda. Cela faisait bien l'écho du caractère ethniquement discriminatoire de certains États de la région et de l'absence relative d'États régionaux réellement démocratiques. Malgré le renversement de Mobutu, il apparaît clairement que certaines contradictions qui sous-tendaient le mobutisme n'ont pas été complètement résolues. Les prescriptions démocratiques sur les États de la région, à commencer par la RDC, n'arrivent pas à prendre consistance. Les pressions extérieures opposées aux aspirations profondes des peuples de la région persistent. Cela explique, en partie, pourquoi le Burundi, dont les pratiques de gestion (2) A$' ici-Suwie, Dossiers noirs de la politique afncair2e de la France, no 9 (1997), p. 74. (3) Ibid, p. 110. 152 ERNEST IVAMBA DIA WAMBA politique ne sont pas très loin d'être mobutistes, se soit trouvé du côte du camp anti-mobutiste et aujourd'hui opposé à la Tanzanie dont les bases démocratiques semblent en meilleure voie. Ce genre d'analyse complexe aurait dû être fait pour mieux cerner : a) les lieux actifs (peuple, usines, campagne, écoles, hôpitaux, alliés régionaux - étatiques et non étatiques, etc.) de la conscience de rupture avec le mobutisme comme condition d'une stratégie de guerre populaire de libération ; b) les formes et contenus actuels des prescriptions dues à l'ordre néo-liberal mondial sur la région par les puissances occidentales - désirent-elles toujours ériger des Mobutu dans la région ? ; c) les prescriptions nécessaires sur les États régionaux pour abandonner leur caractère discriminatoire colonialiste (ethnicité, séparatisme, pouvoir minoritaire, etc.) comme condition de la paix civile et de la coopération régionale. Finalement, seule une telle analyse permettrait d'identifier les vrais amis de la libération réelle du peuple congolais et de classer ses différents ennemis (tactiques, stratégiques ; temporaires ou permanents). A partir des indications d'analyse données ici, on peut dire que la politique pratiquée par l'AFDLC, depuis la création de celle-ci (18 octobre 1996 à Lemera) jusqu'au renversement du régime Mobutu (17 mai 1997), n'est pas à l'abri des tendances mobutistes. D'abord, compte tenu de l'équilibre des forces régionales, il est clair que la direction du mouvement était déterminée dans sa composition et ses rôles plus par des forces extérieures régionales que par les forces internes enracinées dans les masses congolaises. Ceci veut dire aussi que tous les membres dirigeants du mouvement n'avaient pas le même accès aux informations concernant l'organisation. L'affaire de la mort prématurée du commandant Kisase Ngandu ne pourra, un jour, trouver des éclaircissements qu'en tenant compte de ce fait. Ensuite, le premier statut de 1'AFDLC avait une disposition qui stipulait que le président de 1'AFDLC avait un droit de veto sur toutes les décisions du comité exécutif de 1'AFDLC. Ce principe fait écho au constitutionalisme. Le titre de Mzee, qui s'affirme de plus en plus, s'enracine sur cette volonté politique de restreindre, si ce n'est pas d'empêcher, le débat dans les organes dirigeants de I'AFRLC. Dans toute situation de guerre, surtout en l'absence d'une orientation favorable à une guerre populaire, la tentation est grande de reproduire la conscience de soumission en exigeant des gens une obéissance inconditionnelle. A l'issue de la courte guerre, il n'est pas étonnant qu'iI n'y ait pas eu de véritable palabre - ne fut-ce qu'entre les militants nationalistes provenant de différentes branches de l'anti-mobutiste - pour jeter les principes et lever les options concernant : a) les prescriptions sur la reconstruction transformatrice de 1'Etat mobutiste - dont les Cléments éparpillés restent en place ; b) les lignes de 153 MOBUTISME APRÈS MOBUTU conduite dans la formation du gouvernement provisoire et de ses tâches principales ; c) la création d'un organe politique délibérant chargé de la responsabilisation du gouvernement, à tous les niveaux ; et d) les grandes lignes du processus de démocratisation à promouvoir et donc les principes de la transformation de 1'AFDLC de mouvement politico-militaire en mouvement politique enraciné dans la population. La CNS avait bien affaibli le mobutisme. Ses visions créatrices, en rapport avec la rupture avec les comportements de soumission au mobutisme, auraient du être l'un des points de départ obligés pour une politique anti-mobutiste de la reconstruction de 1'État. Les militants de 1'AFDLC minimisent généralement le mouvement de rupture avec la conscience de soumission, rendu possible par la CNS, tout en exploitant, de façon opportuniste et sélective, ses produits (rapports des commissions sensibles non soumis au débat général à la CNS, par exemple). Sans avoir fait l'objet de débats contradictoires, même à la CNS, ces rapports sont soumis aux cours et tribunaux pour exécution. Même la procédure, certes insuffisante, de la CNS n'est pas respectée. I1 est vrai aussi que les pressions, dues aux conditions d'insécurité - la situation de guerre régionale persiste, mais contre l'absence de volonté politique d'organiser un processus de réconciliation nationale, surtout après la mort de Mobutu - ont réactivé les tendances de la politique sécrète, de l'exercice solitaire du pouvoir, de la gestion sans transparence de la res publica, l'appui sur les vieux amis ou des membres de famille (Clientélisme), la prise expéditive, militariste et sans consultation des décisions, l'intolérance relative à toute critique de fond, le recours aux mythologies plutôt qu'à la vérité historique, etc., bloquant ainsi la naissance d'une conscience politique indkpendante. D'une forme de conscience de soumission, on veut aller à une autre forme de conscience de soumis et l'institutionaliser. En l'absence d'organe national de contrôle et de limitation de pouvoir, même temporaire, celui-ci nécessairement corrompt ; ce qui ne manquera pas de donner naissance à des variantes du mobutisme - que la cécité due à l'exercice de plus en plus solitaire du pouvoir empêchera de voir. Inutile de dire que les dossiers stratégiques ayant trait aux profondes aspirations et aux attentes du peuple congolais attendront. I1 s'agit entre autres de : 1) la nécessaire clarification sur les fondements et l'essence du mobutisme et comment concevoir et organiser sa liquidation complète ; 2) ce qu'il faut faire pour éviter que ne recommencent les recours aux biens mal acquis, expression de l'abus du pouvoir: le traitement exemplaire des cas connus des biens mal acquis -même obtenus pendant la guerre ; 3) la nécessité de créer une armée vraiment nationale sans retomber dans les méthodes mobutistes de la formation, depuis 1960, des Forces 154 ERNEST IVAMBA DL4 IVAMBA armées zaïroires ; 4) la création des services de sécurité nationale différents de ceux qui ont été le fer de lance du mobutisme - répandant des mensonges, appuyant le sexisme, les abus de pouvoir, diverses violations des droits de l'homme, l'ethnicisme, les arrestations arbitraires, la torture, l'empoisonnement des adversaires politiques, etc. ; 5) le traitement adéquat, compte tenu de la souveraineté populaire, des rapports avec l'Extérieur ; en rapport, par exemple, avec le contrôle par le peuple de ses ressources nationales - pour ne plus tomber dans la prédation mobutiste ; 6) la création d'un système judiciaire réellement indépendant ; et 7) le traitement correct de la question de la nationalité. I1 est clair aujourd'hui que la question de la nationalité, qui se pose avec force même au sein de l'AFDLC, n'a pas encore eu un début de traitement politique correct. Les contrats avec les compagnies minières ou financières ont été signés par 1'AFDLC sans aucune considération du droit de regard du peuple. La pression des questions proclamées urgentes, pour sortir le pays de son état sinistré, peut facilement relancer les méthodes, les tendances et les styles de travail organisationnels mobutistes. Est-ce cette pression qui oblige le nouveau régime à faire appel aux anciens militants mobutistes ? Le dialogue, profond et organisé, avec les masses populaires sera déterminant pour faire sortir vite le pays du marasme. Beaucoup plus même que les nécessaires compromis avec l'Occident - surtout si ceux-ci se font derrière le dos du peuple. Ne s'appuyer uniquement que sur le peu de gens présumés avoir été à l'abri du mobutisme, parce qu'ils étaient au maquis ou à l'extérieur (la diaspora) ne facilitera pas nécessairement le traitement des questions urgentes. Dans cette période de post-Guerre Froide, post-socialisme et post-Mobutu, la prise en charge ou l'imposition extérieure d'un dirigeant ou une variante américaine de l'homme fort, promouvra certainement une politique qui aura une forme différente du mobutisme, sans que son orientation (oubli de la souveraineté populaire) soit différente. Cela dépendra surtout des nouvelles vues des puissances occidentales sur la région et l'état de politisation des ,masses populaires. Le Tshitshisme - culte de la personnalité d'Etienne Tshisekedi - n'est pas tout à fait l'équivalent du mobutisme ; il peut correspondre au changement de point d'appui dans la politique Ctrangère des puissances occidentales, des considérations stratégiques de la Guerre froide à celles néo-liberales de la B démocratie)), des droits de l'homme et de l'économie de marché. Tshisekedi, dans le cadre de la confiscation du pouvoir par le groupe de Binza jusqu'aux années 1970, a bien été, comme le dit 155 MOBUTISME APRÈS MOBUTU le président Kabila, un agent de Mobutu (4). Après, on peut le considérer comme un candidat manqué au titre d'agent nouveau de l'Occident. La question serait de savoir au détriment de qui? En résumé, le mobutisme n'est pas complètement mort avec Mobutu. Pas seulement parce que les caciques de son régime, réfugiés à l'étranger, continuent de s'agiter, plus ou moins soutenus par les puissances occidentales et par la communauté internationale liée à l'économie du crime organisé (entretenant tant bien que mal les seigneurs de la guerre, par exemple) ; mais parce que les conditions (les fondements et la domestication forcée du peuple congolais) qui l'ont généré et entretenu ne sont pas complètement éliminées. Ces conditions mettent beaucoup d'obstacles au développement d'une politique d'émancipation anti-mobutiste cohérente dans toute la région. Cette petite étude introductrice n'a fait que jeter quelques bases theoriques permettant d'examiner comment relancer le processus d'interruption de toutes les formes de mobutisme. Nous avons évité, intentionnellement, les récits consacrés qui font bien souvent appel aux héros et à la malédiction des présumés ennemis. La pensée, avec de tels écrits, n'est pas libérée ou stimulée. Peut-être n'avons-nous pas réussi, le lecteur en jugera; mais nous avons voulu réellement tenter de provoquer la pensée des gens vivant dans la région. Nous avons évité aussi de faire une critique des performances du nouveau régime au pouvoir depuis sept mois seulement. Nous avons connu beaucoup de ses dirigeants avec lesquels nous partagions les idéaux et parfois la vision de la société à construire. Seule la pratique départage les gens de même vision. La présence suivie dans le pays, se colletant avec les gens de partout, dialoguant sans cesse avec eux, à tous les niveaux, c'est cela qui permettra de mieux cerner la trajectoire politique nouvelle qui se dessine au pays. Les deux mois passés à Kinshasa, dans les milieux des militants de 1'AFDLC et du commun des mortels, certes bénéfiques, sont amplement insuffisants pour trancher. Le défi de la vraie libération, la formation d'un Etat vraiment démocratique pourrait bien être l'émergence d'une capacité politique indépendante dans le peuple. Ce défi est lancé, en RDC ; à travers lui, il s'agit de comprendre comment vaincre le mobutisme dans toutes ses formes possibles.
