
OURCE OU SOLUTION DES CONFLITS DANS LE TERRITOIRE DE KALEHE
3.1 Le conflit entre originaires et non originaires dans le territoire de KALEHE Dans le chapitre précédent, nous avons montré que les conflits sont essentiellement de territoire. Ils s'inscrivent dans l'histoire de la formation des États en Afrique et sont, dans la plupart des cas, nés avec les subdivisions des entités territoriales et administratives. Les conflits dans le territoire de KALEHE sont de même ordre et ne peuvent pas être expliqués par des états psychologiques des groupes ethniques. À notre connaissance, la plupart d'écrits13 mettent en relief les dimensions d'aménagement des champs et des pâturages, la pression démographique liée à la déportation d'une main d'½uvre mais le fond est et reste cependant territorial comme nous allons l'expliquer. Les conflits dans le terri-toire de KALEHE ont un fil rouge : la possession et le contrôle administratif. Avant la colonisation belge, ce territoire de 5.126 km² n'a pas existé avec une superficie nettement établie et les subdivisions administratives bien fixées notamment les chefferies, les groupements et les postes d'encadrement administratif. Les subdivisions des agglomérations ont été faites par l'administration coloniale. Actuellement, le processus est inachevé, d'où la nécessité de créer des communes rurales. Le recensement administratif de 2007 a chiffré la population du territoire de KALEHE à 462.465 habitants. Ce chiffre inclut les populations BAHAVU, BATEMBO, BARONGERONGE, BATWA, BAHUTU et BATUTSI. Ces deux derniers groupes ethniques (BAHUTU et BATUTSI) seraient installés après le bornage des subdivisions territoriales et la fixation des autres ethnies qui réclament le droit d'autochtonie, d'où le conflit de territoire et des terres. 3.1.1 L'origine et l'évolution du conflit de territoire et des terres Dans le territoire de KALEHE, les conflits de territoire et des terres opposent les groupes ethniques bien connus. Ce territoire est constitué de deux chefferies agrandies par l'administration coloniale, à savoir de BUHAVU et BULOHO. La chefferie de BUHAVU formée de sept14 groupements est officiellement reconnue et attribuée aux BAHAVU. Sur les sept groupements, ils occupent trois, à savoir : BUZI, MBINGA Nord et MBINGA Sud. Les BAHAVU sont à égalité avec les BATEMBO qui occupent trois autres groupements dont KALIMA, MUBUKU et ZIRALO. Le groupement de KALONGE est occupé par les BARONGERONGE. À la période postcoloniale, ces derniers ont été détachés du territoire de KABARE pour être annexés à celui de KALEHE. Le chefKALONGE arborant tous les symboles du pouvoir traditionnel réclame l'autonomie et l'érection de son groupement en chefferie de KALONGE. La demande d'autonomie est source de tensions avec les BAHAVU qui perdraient une partie de territoire, des contribuables et les marchés. Aussi, l'autonomie est réclamée par les BATEMBO qui nourrissent le projet de reconstituer leur unité culturelle à partir de 194515 sur une base géographique plus ou moins vaste et susceptible de permettre le contrôle des ressources et leur développement. Ils sont dispersés dans la province du Sud Kivu et localisés dans la chefferie de BULOHO, dans les trois groupements précités en chefferie de BUHAVU, dans le groupement de KALONGE, dans la chefferie de NINDJA en territoire de KABARE, à LUYUYU dans le territoire de SHABUNDA. Dans la province du Nord Kivu, les BATEMBO vivent à UFAMANDU et KATOYI dans la chefferie de BAHUNDE en territoire de MASISI et dans le groupement de WALOWA LOANDA en chefferie de WANYANGA dans le territoire de WALIKALE16. Le conflit de territoire entre BATEMBO et BAHAVU est devenu ouvert en septembre 1999 quand le mouvement politico-militaire connu sous le nom de Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) occupait l'Est du pays. Pendant la rébellion contre le gouvernement central de Kinshasa, le RCD a érigé à titre provisoire BUNYAKIRI enterritoire par un arrêté départemental17. L'existence définitive de ce territoire a été confirmée par un arrêté départemental du 22 juillet 200218. Ses subdivisions internes et limites avec les territoires voisins ont été fixées respectivement par les arrêtés du 7 août 200119 et du 28 septembre 200220. Ces modifications faisaient perdre aux BAHAVU une zone importante d'influence, des sites miniers, des marchés et des forêts pour l'exploitation du bois, ce qui accentue les conflits interethniques entre groupes autochtones. Enfin, les conflits interethniques sur fond territorial opposent le groupe de Banyarwanda (BATUTSI et BAHUTU) contre les BAHAVU et BATEMBO dans les moyens et hauts plateaux en territoire de KALEHE. Ces conflits ont commencé sur fond de contestation de la nationalité des BAHUTU et BATUTSI qu'ils seraient des étrangers installés dans cette partie du territoire favorable à l'agriculture et à l'élevage de gros bétail. À la nationalité, il s'est mêlé la question foncière. Ces deux facteurs font que les BATEMBO et les BAHAVU nient le droit de nationalité et de contrôle des terres aux Banyarwanda car ils les considè-rent non originaires. Ils situent leur présence au Congo en 1959, jetant dans les oubliettes l'existence des chefferies traditionnelles des BAHUTU et la Mission d'Immigration de Banyarwanda organisée par l'administration coloniale au GISHALI et JOMBA en 1936 au Nord Kivu. Les Banyarwanda rejettent ces allégations et disent qu'ils ont rompu des liens d'attache avec le Rwanda et sont congolais, leur nationalité est reconnue et couverte par la constitution de février 2006. Pour ces différentes raisons, ils exigent la révision des limites des entités héritées de la colonisation pour les constituer également en chefferie agrandie et leur reconnaître l'exercice de pouvoir coutumier au même titre que les autres groupes ethniques établis au Congo. Ces revendications ont poussé le RCD à instituer les hauts plateaux de BUZI en chefferie et à confier sa direction aux Banyarwanda. Par cet acte, le RCD a envenimé les relations entre groupes ethniques. 3.1.2 Les facteurs d'escalade des conflits interethniques en territoire de KALEHE Lorsque les facteurs ci-dessus sont conjugués et instrumentalisés par une élite politico-militaire en quête de pouvoir, cela accentue les conflits interethniques. Par exemple, le RCD avait découpé quatre groupements de la chefferie de BUHAVU pour les annexer au territoire de BUNYAKIRI. Ce découpage a exacerbé le conflit entre BAHAVU et BATEMBO. En perdant seulement les groupements de BUZI et ZIRALO, le BUHAVU a été confronté au problème de survie. La remise en question des limites héritées de la colonisation a alimenté les conflits autour de cinq collines dont LUMBISHI, LUZIRANDAKA, NGADJU, NUMBI et SHANDJE. Ces collines sont des sites miniers et symboliques que les BAHAVU et les BATEMBO refusent de les perdre au profit des BANYARWANDA pour avoir été leur domaine de chasse et d'organisation de rituel traditionnel. En revanche, ces derniers soutiennent détenir des titres fonciers à ce propos, y avoir longtemps habité et payé des redevances aux chefs locaux. Ces incohérences de l'administration et le pluralisme juridique contribuent à brouiller les relations sociales. Avoir des concessions pour les exploitations agro-pastorales et minières pousse les hommes d'affaires congolais et étrangers21 à insécuriser les paysans qui craignent de perdre de vastes étendues de terres fertiles pour l'agriculture et l'élevage. En voulant compenser, ils entrent en conflit avec eux. Pour se défendre et protéger leurs territoires et terres, les communautés ont produit les MAYI-MAYI qui s'affrontent, pillent, contrôlent les groupements et commettent des actes de violences sur les filles et les femmes. La milice BATIRI de BATEMBO et la milice BAKOBWA de BANYARWANDA sont les illustrations de l'existence d'une administration parallèle qui effritent l'autorité de l'État congolais, alimentent les exclusions sociales et renforcent les appartenances aux niches tribales au lieu de favoriser la cohabitation pacifique. 3.1.3 La transformation des conflits dans le territoire de KALEHE Les conflits dans le territoire de KALEHE sont liés à l'organisation de l'espace tel qu'il est expliqué ci-dessus. L'administration coloniale belge a utilisé la contrainte pour fixer les groupes ethniques au sol et les a forcés à cohabiter dans la même entité. Le processus de leur sédentarisation a poussé l'administrateur colonial à adopter une politique de contrôle et de suivi des déplacements des populations, d'où la formation des tribunaux de frontière22. Á partir de 1924, ils ont fonctionné au Kivu, entre les territoires relevant de deux ou d'un même district, dans la province Orientale, auxfrontières du Congo-Belge et des colonies limitrophes. Ces tribunaux de frontière ont statué sur les conflits fonciers, les litiges liés à l'émigration interterritoriale, le passage d'une chefferie au territoire, etc. Avec les réformes et la décolonisation, ce dispositif a été abandonné, laissant libre cours aux revendications des territoires primaires qui ont été constitués en chefferies agrandies au sein du territoire de KALEHE. Les initiatives de l'État congolais post colonial de trancher le conflit territorial entre BUZI et ZIRALO en 1961, 1972, 1984 et 1989 ont été un échec. L'État congolais se réserve de réorganiser l'espace politique sur lequel repose son pouvoir de peur d'ouvrir la boîte de pandore. En 1996, le recrutement des BATIRI par l'AFDL en compensation d'un territoire de BUNYAKIRI en cas de victoire sur le régime de MOBUTU était une promesse politique. Elle n'a pas été tenue mais le commandant de BATIRI fut promu général dans l'armée congolaise. L'AFDL créa deux commissions en 1997 et en 1998 de pacification et de concorde dont les missions étaient d'identifier les causes des conflits interethniques et de les extirper au Nord Kivu et au Sud Kivu, de pacifier les relations entre communautés, d'éteindre tous les foyers de tension et de consolider la paix au Kivu23. Les résultats de ces deux commissions furent mitigés par manque d'adhésion populaire suite à la peur d'hypothéquer le pays par les nouveaux dirigeants et à l'hostilité à l'action du gouvernement du salut. C'est sur ce fond de crise politique qu'est né le RCD. En disgrâce avec le pouvoir central et pour avoir une plus grande audience dans la partie sous son contrôle, le RCD démembra les entités existantes et créa les territoires de BUNYAKIRI, de MINEMBWE et la commune urbanorurale de KASHA. Au lieu d'apaiser les conflits interethniques, le RCD les amplifia. Par exemple, le conflit de limites territoriales entre le grou-pement de BUZI, dans le territoire de KALEHE et celui de ZIRALO dans le territoire de BUNYAKIRI nouvellement créé opposa les BAHAVU et les BATEMBO24. Ces oppositions demeurent entre les groupes ethniques bénéficiaires qui continuent à croire en l'existence des territoires et chefferies créés au Sud Kivu pendant la guerre et les groupes ethniques dépossédés qui considèrent que les actes pris par le RCD sont juridiquement caducs, c'est-à-dire nuls et sans objets. C'est sur ces oppositions qui existent dans les esprits de gens et qui sont alimentées par la présence des groupes armés congolais et étrangers que les organisations nationales et internationales participent au processus de pacification des relations sociales et de construction de la paix. Plusieurs25 organisations et églises font l'éducation à la paix sociale, l'éducation civique et politique, et implantent des Cadres de Dialogue et de Médiation (CDM) ou Comité de Médiation des Conflits (CMC) dont l'objectif principal est de prévenir les conflits, de les transformer pour utiliser l'expression de John Paul Lederach et de consolider la cohésion sociale. Par exemple, Action pour la Paix et la Concorde (APC), Institut Vie et Paix (IVP) et UN HABITAT appliquent les stratégies de médiation foncière, d'éducation de la population sur les droits fonciers et de formation de leaders locaux sur la gestion des conflits fonciers pour assurer une gouvernance foncière entre BAHAVU, BAHUTU, BATEMBO et BATUTSI dans le territoire de KALEHE26. Les initiateurs de ces différentes stratégies ont financé des enquêtes pour localiser les conflits fonciers, comprendre leurs enjeux et dégager les acteurs les plus actifs à la base mais les résultats demeurent mitigés. À ce sujet, UN HABITAT a identifié dans son enquête de décembre 2011 une pluralité d'acteurs et montrent que les conflits fonciers sont rallumés par la pression démographique, le mouvement forcé des populations, l'insécurité en divers endroits, le dysfonctionnement de l'administration foncière et judiciaire, l'extension des aires protégées, l'histoire de peuplement de la province et la fragilité de l'État congolais27. Ces différents facteurs relèvent de la problématique de territoire que la plupart des intervenants évitent d'affronter sur le terrain et de froisser l'État congolais
LA MULTIPOLARITÉ ET L'ÉVOLUTION DES CONFLITS DANS LE TERRITOIRE D'UVIRA
4.1 Les conflits entre originaires dans le territoire d'UVIRA Le territoire d'UVIRA de 3.148 km² était habité en 2011 par une population chiffrée à 517.171 habitants28. Ce territoire est constitué de trois chefferies, à savoir de BAFULERO, BAVIRA et Plaine de la RUZIZI. Les appellations de ces entités correspondent aux identités des groupes ethniques qui ont été territorialisés par l'administration coloniale. L'actuelle chefferie Plaine de la RUZIZI était connue sous le nom de la chefferie de BARUNDI. Cette appellation a été abandonnée en 197429 pour éviter la confusion entre l'entité territoriale congolaise et le Burundi. Aussi, ce changement de nom visait à dissiper les préjugés sur les populations d'origine burundaise établies en R.D. Congo avant la pénétration coloniale et enfin de préserver leur nationalité congolaise.Dans ce territoire vivent les BANYARWANDA Tutsi30. Pour avoir changé le nom pour devenir BANYAMULENGE et demandé la création du groupement de BIJOMBO et le territoire de MINEMBWE, les conflits interethniques ont éclaté avec leurs voisins. Nous expliquons leur dynamique et leur aspect multipolaire. 4.1.1 La multipolarité et l'évolution des conflits dans le territoire d'UVIRA Les BAFULIIRU, BAVIRA, BARUNDI et BANYAMULENGE sont des autochtones dans ce qui est devenu le territoire d'UVIRA. Deux fractions de BANYARWANDA vivaient dans cette entité créée par l'administration coloniale belge. La fraction de LIVUZE est retournée au Rwanda. Celle de KAILA errait dans les moyens et les hauts plateaux d'UVIRA et de FIZI pour échapper aux tributs des chefs locaux et surtout à l'impôt, au portage et aux recensements institués par l'administration coloniale. Pour ces différentes raisons à la base du nomadisme des BANYARWANDA, la fraction de KAILA n'a pas été territorialisée par l'administration coloniale. Georges WEIS qualifie cette politique coloniale de discrimination. Logiquement, la fraction de KAILA est ancienne en R.D. Congo et prit l'appellation des BANYAMULENGE en 197331. Les BABEMBE, BASHI, BAREGA, etc. sont des non originaires dans le territoire d'UVIRA. Cependant, ils ont leurs propres territoires administratifs mais sont venus s'installer dans le territoire d'UVIRA pour la recherche du travail et de la sécurité. Ils y vivent en paix avec les originaires parce qu'ils ne réclament ni la propriété du territoire d'UVIRA, ni celle des trois chefferies existantes, ni encore la création de nouvelles entités administratives. En territoire d'UVIRA, il y a deux foyers de conflit de territoire. Le premier foyer est celui de la chefferie Plaine de la RUZIZI. Le conflit a éclaté en 1928 entre BAFULIIRU et BARUNDI au sujet de l'existence de la chefferie agrandie de ces derniers. À cette date, le chef MUZIMA a revendiqué les limites entre la chefferie de BAFULERO et celle de BARUNDI. Cette réclamation fut reprise en 1944 par le chef MATAKAMBO, successeur de MUZIMA qui revendiqua la paternité de la chefferie agrandie de BARUNDI. Ces revendications furent contenues et étouffées par les administrateurs coloniaux qui considéraient inopportun de revoir les limites et de remettre en cause le processus d'homogénéisation des chefferies32. Le deuxième foyer de ce conflit de territoire multipolaire est celui des moyens et hauts plateaux d'ITOMBWE. Ce conflit oppose les BAVIRA, BAFULIIRU contre les BANYAMULENGE au sujet de la reconnaissance du groupement de BIJOMBO en 1979 et la création du territoire de MINEMBWE par le RCD le 9 septembre 1999. La reconnaissance du groupement de BIJOMBO a provoqué un conflit entre les BANYAMULENGE et les autres groupes ethniques autochtones. Malgré les protestations de ces derniers, l'État congolais a maintenu sa décision. Vingt ans après, la création du territoire de MINEMBWE par le RCD brouilla les relations sociales et amplifia les conflits entre les BANYAMULENGE et les autres communautés dans les territoires de FIZI, MWENGA, UVIRA et WALUNGU pour avoir amputé leurs chefferies agrandies33. L'État congolais initia une commission chargée d'examiner les actes de création des entités territoriales pendant la guerre dans la province du Sud Kivu mais s'empêcha de les officialiser en vue de remporter les élections de 2006. À ce sujet, quelques analystes ont qualifié cette attitude qu'il s'agissait d'une stratégie visant à susciter l'électorat de chef de l'État actuel contre ses adversaires politiques 4.1.2 Les facteurs d'escalade des conflits interethniques en territoire d'UVIRA Les conflits interethniques dans le territoire d'UVIRA se radicalisent par la conjugaison de nombreux facteurs entre autres la contestation de la nationalité de BARUNDI et BANYAMULENGE, la revendication de créer de nouvelles entités administratives, l'instrumentalisation des communautés par l'élite politico-militaire. Nous ajoutons l'implication des chefs d'État des pays voisins, le changement de l'identité du groupe ethnique, la remise en question de l'existence du pouvoir coutumier, les assassinats des chefs coutumiers, l'opposition à la réhabilitation du mwami et de ses collaborateurs dans la chefferie Plaine de la RUZIZI et le refus aux BAFULIIRU de cultiver dans cette chefferie. Enfin, il y a la réclamation de transformer la chefferie Plaine de la RUZIZI en secteur, la tendance de vouloir intégrer les BARUNDI et BANYAMULENGE dans les entités existantes, les violences sexuelles commises par les miliciens, les exclusions ethniques, le militantisme des jeunes, l'alliance entre jeunes Barundi et Banyamulenge dits BANAVYURA, le vol de gros bétail, etc. Nous expliquons quelques facteurs pour dégager les liens entre eux car les détails sont exposés dans ma thèse de doctorat. Malgré l'existence d'une loi sur la nationalité, les BAFULIIRU et les BAVIRA continuent à nier la nationalité des BARUNDI et BANYAMULENGE. Ils disent que leur nationalité a été obtenue par procuration et n'a pas une base sociologique et territoriale. Pour ces raisons, ils les taxent d'étrangers, et soutiennent qu'ils n'ont ni droit au pouvoir coutumier, ni à la direction d'une chefferie. Les BAFULIIRU ajoutent que la chefferie plaine de la RUZIZI fut leur territoire primaire. À ce titre, elle devrait être annexée à la leur ou être transformée en secteur. Ces allégations sont mal perçues par les BARUNDI et BANYAMULENGE et enveniment les rapports entre communautés. Ils disent qu'ils sont anciens en R.D. Congo et que leur nationalité n'est pas douteuse.Les BARUNDI rejettent ces versions et précisent que leur territoire identitaire s'étendait, avant la pénétration coloniale, jusque dans l'actuel territoire de FIZI. Ils soutiennent qu'ils sont autochtones au même titre que tous les autres congolais. À ce titre, ils ont droit à l'exercice du pouvoir coutumier et à la commande d'une chefferie agrandie. Ils sont conscients que la leur a été créée dans les mêmes conditions que celles existantes. C'est un droit acquis. Vouloir le remettre en cause ainsi que leur nationalité et leur pouvoir coutumier, c'est donner cours à la violence. Les BANYAMULENGE abondent dans le même sens. Ils disent qu'ils sont autochtones au même titre que toutes les autres tribus du Sud Kivu. L'administration belge a été injuste en oubliant de les organiser en chefferie agrandie. La demande du groupement de BIJOMBO et du territoire de MINEMBWE propres à eux est légitime. À ce propos, l'élite de BANYAMULENGE écrit que ''la question du territoire est une question qui relève du gouvernement qui au regard des conditions légales pour l'érection d'un territoire continue à traiter cette question. Cette revendication des ressortissants de cette contrée à majorité BANYAMULENGE est un droit inaliénable à l'instar des autres communautés congolaises qui disposent de territoires. En outre, à travers le pays et en particulier au Sud-Kivu, tous les territoires n'ont pas été érigés en même temps en tenant compte de l'évolution politique et sociale de la région ; il s'agit d'un processus qui s'étale dans le temps. Certains territoires sont nés d'autres territoires sans que cela ne soulève de tensions pourquoi ça serait le cas pour celui de NEMBWE34''. Cette position sur le processus territorial remet la pendule à l'heure. Vouloir remettre en cause l'existence de ces deux entités, c'est en fait alimenter les conflits interethniques interminables.En résumé, les attitudes de BAFULIIRU, BARUNDI et BANYAMULENGE expliquent en gros la recrudescence des violences dans la localité de MUTARULE les 31 juillet et 15 août 2013 et le 7 juin 2014. MUTARULE devenu l'épicentre des contestations du pouvoir coutumier et de la lutte politique pour la transformation de la chefferie plaine de la RUZIZI en secteur fera l'objet d'une nouvelle étude. Les oppositions entre les communautés sont ancrées dans l'univers mental. Elles traduisent la dimension territoriale de la conflictualité qui est évacuée de la plupart des stratégies de transformation des conflits. L'évacuer de toute action de changement social perpétue les conflits interethniques au Sud Kivu et rend leur résolution difficile. 4.1.3 La transformation des conflits dans le territoire d'UVIRA L'administration postcoloniale n'a pas trouvé une solution adéquate à la question de territoire et de conflit autour des chefferies agrandies et de pouvoir coutumier. Elle a adopté des stratégies qui ont contribué à renforcer l'autorité de l'État mais aussi les oppositions. Celles-ci ont trouvé un contexte post colonial favorable pour se radicaliser et affaiblir son existence. Au sujet de la contestation de l'existence de la chefferie Plaine de la RUZIZI, l'État congolais a, comme d'habitude, procédé à la signature d'un acte d'engagement entre notabilités 35. Cet acte prévoit sept mesures. Nous citons celles qui cadrent avec l'objet de cette étude. Il s'agit du respect de l'autonomie de trois chefferies héritées de la colonisation, de la promotion de la coexistence pacifique entre les communautés, de la gestion du territoire d'UVIRA sur base d'équilibre ethnique36, etc. Malheureusement, cet acte n'a pas empêché les éléments d'autodéfense et de MAYI-MAYI de barricader la route nationale n° 5 UVIRA – Bukavu asphyxiant ainsi l'économie de la province. En vue de prévenir l'instrumentalisation des jeunes et de leurs communautés, le conseil provincial de sécurité élargi aux notables du territoire d'UVIRA a dépêché une délégation provinciale dans la Plaine pour sensibiliser les jeunes et la population de cette entité à la paix, à la sécurité et au développement et pour obtenir la levée des barrières sur ladite route37. Ces efforts ont été limités par la segmentation de l'État due à présence des milices locales et d'officiers militaires intouchables. Ces acteurs ont failli compromettre les résultats et attiser les tensions entre communautés38. Le chef de l'État a du dépêcher une délégation nationale sous la conduite de l'Honorable Norbert BASENGEZI KATINTIMA pour identifier le n½ud du problème. Elle a constaté que les troubles sont liés aux enjeux territoriaux et fonciers39 et a proposé dix-sept mesures pour ramener la paix sociale. Il s'agit entre autres de muer la cité d'UVIRA en ville, de créer de nouvelles entités administratives, de maintenir les trois chefferies existantes, d'identifier et de regrouper des éléments MAY-MAY en local défense en vue de leur intégration dans l'armée et la police40, etc Ces différentes délégations sont les illustrations de quelle manière l'État congolais s'investit dans la résolution des conflits de territoires. Il réunit les communautés mais ses engagements se limitent au niveau de recommandations comme le font les ONG. Comme partenaire de l'État congolais, UN HABITAT déjà cité apporte son appui et a identifié sept ONG41 qui organisent des réunions de sensibilisation des communautés et les incitent à prendre des engagements. Ces ONG les éduquent à la paix sociale et implantent les Cadres de Concertation Intercommunautaire (CCI). Bref, elles font la sensibilisation, la médiation et la transformation des conflits. Dans le cas du conflit entre BANYAMULENGE et les autres communautés, l'Institut Vie et Paix et ses partenaires locaux (ARAL, RIO et ADEPAE) ont effectué une recherche action participative42 pour comprendre la dynamique et identifier les enjeux des conflits qui rendent la cohabitation difficile dans les territoires de FIZI et UVIRA. À l'issue de cette recherche, les délégués de différentes communautés en conflit ont été réunis au Centre AMANI à Bukavu pour dialoguer, définir les actions de transformation et le type de cadre de médiation et de conciliation à implanter pour résoudre les conflits liés à la transhumance, à la création des entités administratives, à la contestation du pouvoir coutumier et à l'administration parallèle. Aussi, ils ont défini les actions pour combattre la mauvaise gestion des taxes sur les marchés et l'exploitation des minerais, pour arrêter l'appui des communautés aux groupes armés congolais et améliorer la gouvernance locale dans les territoires de FIZI et UVIRA. Quatre cadres de concertation interethnique ont été respectivement installés à Baraka, Bukavu, MINEMBWE et UVIRA pour documenter et comprendre la dynamique des conflits, promouvoir le dialogue entre communautés et transformer les conflits. Les initiateurs supposent que la cohabitation pacifique sera restaurée par le renforcement des capacités, la connaissance des conflits intra et intercommunautaires, l'échange d'informations et par l'initiation des actions de prévention et résolution des conflits. Malheureusement, ces cadres de concertation n'empêchent que la cohésion sociale soit menacée par les faiseurs de troubles.
CONCLUSION
Ces différents exemples permettent de comprendre cinq réalités ciaprès autour desquelles peuvent s'organiser des actions de l'État congolais et de ses partenaires divers pour restaurer la paix sociale au SudKivu. 5.1 L'existence de la dimension territoriale dans les conflits au Sud-Kivu La plupart des stratégies évacuent la dimension territoriale de la conflictualité entre les communautés au Sud Kivu. Les conflits de territoire sont essentiellement politiques et mobilisent les jeunes, les communautés, les milices, les ONG et les notabilités. L'émergence d'une pluralité d'acteurs liée à la fragilité de l'État congolais rend difficile tout effort de résolution des conflits. Les ONG font l'éducation à la paix, la sensibilisation et l'implantation de quelques cadres de dialogue et de médiation mais n'ont pas la légitimité de résoudre les conflits qui sont nés de la réorganisation de la société dès la pénétration coloniale. Les notions d'originaires et de non originaires sont des expressions d'une conflictualité autour d'identité qui voile la dimension territoriale. Elle est à la fois une réalité politique et sociologique. Elle est sociologique parce qu'elle est reflet de l'identité culturelle et le support des représentations des ethnies qu'elles soient établies avant ou après sur l'espace délimité par l'État. Le rapport à l'espace et à autrui est déterminé par l'appartenance à l'ethnie et par les liens d'affinité. Dès la colonisation, il est supposé que le territoire identitaire est dilué dans le territoire étatique. Ce dernier est une réalité politique comme espace de pouvoir souverain et de rapports organisés sur la base d'un contrat avec l'État organisateur. La rupture épistémologique fait défaut chez la plupart des communautés étudiées dans les territoires de FIZI, KALEHE et UVIRA. C'est pourquoi le territoire y est source de conflits violents entre ethnies. Les ressorts de la violence trouvent une explication dans les limites du processus territorial et la fragilité de l'État postcolonial. Sa tâche est d'organiser une éducation pour développer une culture du territoire et une conscience nationale. Les notions de territoire, chefferie, secteur, pouvoir coutumier, identité, paix sociale, etc. doivent être au centre de l'enseignement primaire, secondaire ou universitaire. 5.2 La militarisation des communautés Les lacunes décrites dans cette étude ont favorisé l'émergence des milices (MAY-MAY, Audacieux, NGOMINO, TWIRWANIRE, BATIRI, BAKOBWA, etc.) qui so
nt de véritables machines de destruction de la vie et des actions du développement. Cette logique est encouragée par les différentes ethnies et leurs enfants qui contribuent de manière consciente ou inconsciente à affaiblir l'État congolais et à alimenter l'instabilité politique par des revendications des territoires ethniques et de l'autochtonie. Ces revendications attisent les tensions sociales et alimentent les divisions : originaires et non originaires. Ces divisions ébranlent la cohésion sociale. Le travail de l'État congolais consiste à démilitariser les communautés et à initier des actions susceptibles de renforcer l'unité et la paix sociales. 5.3 L'intégration mitigée des communautés par le territoire Les cas étudiés révèlent que l'intégration par le territoire est partiellement une réussite pour les BABUYU, BARONGERONGE et BATEMBO. Ils se sentent en insécurité par rapport aux groupes majoritaires qui leur imposent une sorte de domination politique, économique et culturelle ; d'où les revendications d'autonomie territoriale. D'une part, la solution consistera à activer les mécanismes de répartition de pouvoir, de partage de diverses ressources et de promotion de l'identité culturelle de chaque ethnie. D'autre part et en cas de persistance des conflits interethniques, il s'agira de procéder à des enquêtes pour statuer sur les questions saillantes liées au regroupement des habitants et au démembrement des entités pour autonomie. L'intégration par le territoire est une réussite totale pour les BABEMBE, BAFULIIRU, BAHAVU et BAVIRA. La lutte contre la pauvreté rurale est indiquée pour les occuper. Pour les BARUNDI de la plaine de la RUZIZI, leur intégration par le territoire n'est pas irrésoluble. Leur entité est légalement délimitée et cadrée. Le rôle de l'État consiste à faire cesser les ambitions hégémonistes et les contestations de leurs voisins au sujet de l'existence de pouvoir coutumier et de la chefferie agrandie de BARUNDI. 5.4 La fragilité de l'État congolais La résurgence des conflits de territoire est une résultante de la fragilité de l'État congolais. À ce propos, l'élite de BANYAMULENGE note dans son document déjà cité à la troisième page que ''l'État est entièrement responsable de la dégradation de la situation sur ces conflits naissants pour n'y avoir pas apporté des solutions appropriées en temps utiles''. Quand son autorité sera restaurée, l'État congolais devrait afficher une position nette à ce sujet et initier un programme de lutte contre la pauvreté et d'éducation à la paix sociale. Les BANYAMULENGE 44 Identités territoriales et conflits dans la province du Sud-Kivu des hauts plateaux d'UVIRA et les BANYARWANDA des plateaux de KALEHE n'ont pas eu de territoires administratifs. La création des communes rurales qui seront des espaces où les identités des uns et des autres peuvent coexister et se promouvoir sans heurts est indiquée. 5.5 La réorganisation du territoire L'État congolais devrait s'investir dans l'élaboration de cartes des groupements, chefferies et territoires pour prévenir les conflits des limites. Une commission instituée par le pouvoir organisateur du territoire aurait comme tâches d'établir les cartes des entités, des coordonnées géographiques et de trancher les conflits des limites. Les membres de cette commission devraient maîtriser l'histoire du peuplement de la province, l'histoire de l'organisation territoriale et administrative et connaître les différents textes juridiques y ayant trait. Cette commission fonctionnerait par province en vue de préparer le découpage en perspective et de collaborer avec les différentes autorités (les administrateurs de territoires, les chefs coutumiers, les inspecteurs territoriaux, le ministère provincial de l'intérieur et l'assemblée provinciale). 5.6 Le modus operandi des identités territoriales Les territoires disputés par les BABEMBE, BABUYU, BAFULERO, BAHAVU, BAHUTU, BARONGERONGE, BARUNDI, BANYAMULENGE, BATEMBO, BATUTSI, BAVIRA, ... relèvent de la souveraineté de l'État congolais et constituent le territoire national. Soumis à la puissance publique, il n'est pas à confondre avec le territoire ethnique ou primaire. Ce dernier a existé avant la colonisation de l'Afrique par les Européens. Dès la colonisation, les différents territoires ethniques qui ont contribué à former le territoire national sont censés ne plus exister sur le plan légal par le processus de territorialisation et d'administration moderne.Cependant, les cas analysés montrent qu'ils continuent à exister sur le plan anthropologique et sociologique. Les groupes ethniques territorialisés ou non à l'époque coloniale continuent à se définir par rapport à l'espace identitaire, à s'affirmer et à réclamer les appartenances aux territoires ethniques. Ces appartenances, affirmations et revendications des territoires primaires ou culturels constituent les identités territoriales qui sont à la base des conflits entre les groupes ethniques au Sud-Kivu. Elles opèrent selon quatre modalités stratégiques, à savoir : la pratique d'autodéfense du territoire étatique par la formation des milices, la transmission aux générations futures par la socialisation, la justification de l'existence antérieure à l'espace par un discours de légitimation, la négation et l'exclusion du groupe ethnique voisin. Premièrement, les identités territoriales opèrent sur base du principe de négation et d'exclusion du groupe ethnique voisin. Les groupes ethniques en conflit se définissent et s'identifient à un espace bien délimité par la puissance publique, ils le privatisent et s'en approprient dans le contexte de fragilité de l'État congolais pour nier l'occupation et l'existence antérieures de la partie adverse sur l'espace avant la colonisation belge. La négation et l'exclusion provoquent des conflits de territoire. Les cas étudiés sont autant des illustrations à ce sujet. Deuxièmement, les identités territoriales s'expriment en termes de légitimation. Chaque groupe ethnique cherche à justifier son existence antérieure à la colonisation belge sur l'espace disputé. Le discours de légitimation qu'il tient, nie l'histoire de la réorganisation territoriale et administrative que le territoire primaire a subie au fil des années. Ce discours magnifie les qualités du territoire ethnique et lui attribue les propriétés d'un espace d'existence propre. C'est de cette façon que le discours d'exclusion devient une source des conflits de territoire en distinguant les originaires et les non originaires, les autochtones et les allochtones. Ces catégories conceptuelles voilent les enjeux de nationalité et d'organisation politique à base coutumière (pouvoir coutumier). 46 Identités territoriales et conflits dans la province du Sud-Kivu Troisièmement, les identités territoriales se fondent sur le besoin de sécurité en situation de crise de l'État congolais. Les groupes ethniques développent la pratique d'autodéfense du territoire étatique par la formation des milices pour assurer leur sécurité et garantir la paix à leur communauté en lieu et place de la puissance publique. Cette pratique retrouvée dans la plupart des cas étudiés l'affaiblit et accroît les tensions entre les ethnies voisines au lieu d'assurer la paix sociale. Les milices accroissent l'insécurité, développent des administrations parallèles et vivent aux dépens des populations locales ; d'où des exactions et violations massives des droits humains. L'existence des milices en province du Sud-Kivu sont les manifestations de la privatisation et de l'ethnicité du territoire étatique. Quatrièmement et enfin, les identités territoriales se transmettent d'une génération à une autre par la socialisation, le discours de légitimation et les mémoires des événements malheureux. Les identités territoriales agissent et se répercutent selon le principe de contagion. La plupart des conflits décrits ont éclaté à l'époque coloniale avec la fixation des ethnies et la subdivision des cadres administratifs. Nés avec le processus de territorialisation, ces conflits mêlent les questions de nationalité et de pouvoir coutumier pour avoir traversé les époques et affecté les générations présentes. Les conflits de territoire entre les BAFULERO et les BARUNDI datent de 1928, entre les BAHAVU et les BATEMBO ont éclaté en 1945, entre les BABEMBE et les BABUYU sont de 1950, etc. La particularité de ces conflits analysés est d'avoir des ramifications dans le temps présent et d'impliquer une pluralité d'acteurs : civils, miliciens, militaires, officiels, jeunes et populations locales. Celles-ci recourent aux quatre modalités stratégiques décrites ci-dessus séparé- ment ou en bloc selon le contexte pour radicaliser les conflits de territoire. S'accompagnant des violences, des massacres à MUTARULE, dans les moyens et les hauts plateaux d'ITOMBWE ou de BUZI, conflits de territoire ont entraîné les déplacements des populations dans les territoires de FIZI, KALEHE et d'UVIRA. En définitive, les ethnies dans ces différents territoires se disputent le territoire qui relève de la souveraineté de l'État congolais. Elles entrent en conflit pour les enjeux géopolitiques dont l'autonomie, le territoire, les ressources, le pouvoir qui sont autant des facteurs qui motivent la revendication du remembrement ou du démembrement : deux modalités reconnues uniquement à l'État congolais par la constitution de février 2006